Entre les mondes – Rencontres avec l‘écrivaine Cécile Wajsbrot et la traductrice Karin Uttendörfer
Cécile Wajsbrot nous a dit avoir été intriguée par un film documentaire sur la vie à Tschernobyl avant la catastrophe nucléaire et sur la renaturation de la zone interdite privée de ses anciens habitants. En regardant les champs de blé – qui sont toujours contaminés -, les rivières et les prairies, elle se récitait intérieurement des phrases du texte de Virginia Woolf To the lighthouse. Le roman de Woolfe raconte la dégradation d‘une maison envahie inéluctablement par la végétation et dans laquelle les humains n’ont plus leur place.
Lentement, l‘idée d‘écrire un roman a pris forme – un roman qui mêlerait une réflexion sur les modifications que la nature apporte aux espaces urbains et un travail subtil de traduction de ce roman esthétiquement si ambitieux de Virginia Woolfe.
Le personnage principal de Nevermore, le nouveau roman de Cécile Wajsbrot, est une traductrice. Elle en est la narratrice, est originaire de Paris mais pour traduire le texte anglais de Woolfe, elle a décidé d‘aller à Dresde. Elle pense que la ville, autrefois dévastée par la guerre, est l‘endroit idéal pour réfléchir aux „dévastations du temps“. Elle aimerait savourer ce sentiment d‘être étrangère et saisir les ombres de proches disparus qui semblent soudain lui apparaître.
Le titre Nevermore est une allusion au poème d‘Edgar Allan Poe The Raven. Non, les morts ne reviennent pas à la vie. Et oui, „même la mort a un travail à accomplir en éloignant les morts des vivants“. Dans chacun de ses livres, Çécile Wajsbrot trouve un ton différent et construit une structure nouvelle pour notre plus grand plaisir. Depuis des années, on constate que la musique joue un rôle grandissant dans son écriture et qu’elle compose subtilement des textes dans lequel diverses strates se superposent, telles des partitions de musique.
Anne Weber est une écrivaine et traductrice allemande qui vit en France. Elle a pour la deuxième fois un roman de Cécile Wajsbrot. Et l‘a fait de manière extraordinaire,
La traductrice littéraire Karin Uttendörfer quant à elle, a reçu avec Ryoko Sekiguchi le tout nouveau Prix Première qui leur a été remis en septembre dernier à Tübingen pour le livre Nagori, la nostalgie de la saison qui vient de nous quitter. Ryoko Sekiguchi est une autrice franco-japonaise qui publie également des poèmes.
Le Prix Première est attribué à des auteurs et autrices dont un livre est traduit pour la première fois en Allemand – et aux traducteurs et traductrices dont émane la traduction.
Dans notre épisode, Karin Uttendörfer nous parle du concept japonais de „Nagori“ et elle nous décrit la façon dont ses perceptions sensorielles se sont affinées pendant le travail de traduction de ce roman et comment elle s‘est alors mise à vivre de manière plus consciente. „Nagori“ signifie surtout la présence sensible d‘un objet ou d‘une personne, et plus particulièrement d‘une saison qui est déjà passée ou qui vient de s‘achever. “C‘est un moment dans lequel se trouvent la nostalgie du retour de la saison et, de ce fait, aussi l‘espoir d‘une renaissance. On pourrait dire, de manière générale, que ce concept se rapporte à tout ce qui reste”.
Un enfant a perdu ses parents mais ceux-ci sont présents dans les récits de tous ceux qui les ont connus. À la fin d‘une saison, il reste par endroits des fleurs solitaires ou des fruits qui pendant aux arbres nus. “Nagori veut aussi toujours parler de la douleur des adieux.“
Petite liste – non exhaustive – des livres de Cécile Wajsbrot:
Nevermore, Le Bruit du temps, Paris 2021
Destruction, Le Bruit du temps, 2019
Mémorial, 2005, nouvelle edition, Le Bruit du temps, Paris 2019
Totale éclipse, Christian Bourgeois Éditeur, Paris 2014
Fugue, Éditions Estuaire, 2005
Caspar-Friedrich-Strasse, Zulma, Paris 2002
Ryoko Sekiguchi: Nagori. La nostalgie de la saison qui vient de nous quitter. P.O.L., Paris 2018
À découvrir: Claudia Andujar, La Lutte Yanomami/ Der Überlebenskampf der Yanomami, exposition au musée de la photographie à Winterthur du 23.10.21- 13.02.22
Le Prix Première a été instauré par l’Institut Culturel franco-allemand de Tübingen, le Bureau du Livre de l’Institut Français en Allemagne et l’Association des Amis de l’Institut de Tübingen. Il est doté à hauteur de 1.000 Euro par personne primée.
Sont en lice pour l‘édition 2022 les trois textes suivants:
Antoine Wauters: Penses aux pierres sous tes pas, Verdier, Paris 2018
Julia Kerninon: Liv Maria, L’Iconoclaste, Paris 2020
Pascal Janovjak: Le zoo de Rome. Actes Sud, 2019